Haïti: épidémie de choléra
Le choléra représente l’archétype de l’affection aigue épidémique conservé dans l’inconscient collectif comme l’image d’un fléau épouvantable. Avant l’introduction de la réhydratation parentérale, la mortalité restait importante, d’où l’expression « choisir entre la peste et le choléra. » Suivant les épidémies au XIXème siècle, la mortalité globale atteignait 40% sous le traitement allopathique de l’époque, souvent à base d’opium pour tenter d’enrayer les diarrhées.
Adolph LIPPE dans une magnifique conférence sur le sujet, démontre sa maîtrise absolue du sujet de la contagion[1] et évoque les statistiques de son époque (Asiatic Cholera, lecture given Dec. 8th 1865, Hom. Med. College of Pennsylvania). Il explique en colligeant les résultats de la plupart des prescripteurs américains que la mortalité sous le traitement homéopathique avoisine 5%, bien que lui-même n’ait jamais perdu un seul cas. C’est justement grâce à ses immenses succès dans le traitement des affections épidémiques comme la rougeole, le choléra, la pneumonie, le typhus, que l’homéopathie à conquis dès ses débuts ses lettres de noblesse et a été largement adoptée par le public enthousiaste. Le support des malades face à la propagande obstinée des différents lobbies représente toujours le facteur qui maintient l’homéopathie vivante.
Mais par-dessus tout, le choléra représente pour Hahnemann et l’homéopathie le même motif de gloire que tirent Newton et la mécanique céleste de la découverte d’Uranus par Le Verrier et Adams uniquement d’après les perturbations gravitationnelles des autres planètes. Sans avoir vu un seul cas, la seule description clinique du fléau asiatique aux portes de l’Europe avait suffi au Maître pour désigner Camphora, Cuprum et Veratrum comme étant les principaux médicaments indiqués. Les résultats en France furent tels qu’une véritable pénurie de Camphre se produisit dans le pays. L’homéopathie provoqua un véritable séisme, et l’Ecole officielle fit tout pour l’interdire. C’est dans ce contexte qu’il faut se rappeler la réponse prophétique du Premier Ministre Guizot à ces Messieurs de l’Académie de Médecine venus demander l’interdiction de l’homéopathie en France : « Messieurs, le Docteur Hahnemann est un savant de grand mérite. Il ne m’appartient pas d’interdire aux malades d’avoir recours à une méthode, qui si elle s’avère inepte, s’éteindra d’elle-même. »
Haïti
C’est donc avec ce lourd héritage sur nos épaules que nous nous sommes rendus en Haïti pour tenter de faire les preuves de notre médecine et soulager quelques souffrances dans un pays qui manque de tout. Je m’étais déjà rendu à Port au Prince l’année précédente, juste après le séisme qui avait causé 200.000 morts. Avec une petite équipe, dont Catherine Mayer et mon vieil ami Kaviraj, le grand maître de l’agro-homéopathie, nous avons ainsi traité plus d’une centaine de personnes par jour, dans la rue, sous une bâche pour nous abriter du soleil. Les patients médusés et prudents durant la première demi-journée sont ensuite accourus en masse au vu des premiers résultats spectaculaires.
L’adjectif spectaculaire est souvent associé à l’homéopathie. Tous ceux qui se sont donné la peine de suivre la voie tracée par le Fondateur ont cette chance d’accéder aux délices d’une guérison, prompte, douce et durable. Dans les pays du tiers-monde, les tableaux cliniques sont souvent extrêmement clairs, par opposition à la situation dans un Occident gavé de drogues et survacciné.
La réalité, y compris dans les affections chroniques, est qu’une consultation ne devrait jamais excéder 30 minutes. L’œil d’un praticien entraîné devrait percevoir très rapidement le signe caractéristique (Organon 153) qui lui permet ensuite de sélectionner le simillimum d’après une liste limitée de médicaments. Cette tactique dite du « bottom-up » est celle que tous les grands homéopathes utilisaient, avec diverses variantes.
Même Kent, qui a introduit un si vaste chapitre de signes mentaux dans le répertoire montre au travers de nombreux cas cliniques dans ses Lesser Writings, qu’il procédait de même (il faut se rappeler qu’à la Polyclinique de Chicago, il consultait 20.000 personnes par an en plus de sa pratique privée, et de l’enseignement !) Kent prend l’exemple d’une patiente qui présente un bearing-down. Il trouve une modalité très clairement marquée : la femme est améliorée en croisant les jambes. Puis il fait le diagnostic différentiel entre Lilium et Rumex d’une part et Sepia de l’autre à l’aide des signes mentaux.
C’est exactement ce que nous faisons tous les jours, et c’est aussi ainsi que l’on trouve rapidement la piste du médicament épidémique.
Le médicament épidémique
C’est grâce au Dr. Jean Marie Caïdor, directeur de l’hôpital Saint François de
Sales, et au Dr. Thomas Hans-Muller que nous avons pu accéder aux cas de
choléra. L’épidémie en Février 2011 était déjà sur le déclin, ou du moins la
situation stabilisée grâce à la mise en place d’un maillage sévère, avec des
CTC (Centres du Traitement du Choléra) disséminés un peu partout. A cet égard,
en partageant comme à l’accoutumée le quotidien de la population, nous avons pu
mesurer le degré d’exaspération des haïtiens envers les organisations
humanitaires qui se comportent comme des occupants en pays conquis,
s’appropriant une grande partie de la main d’œuvre active, patrouillant partout
à l’aide d’énormes 4X4 au mépris des piétons, etc...
C’est ainsi que nous avons traité environ une vingtaine de cas qui avaient été directement hospitalisés sans passer par les CTC, où nous étions persona non grata car homéopathes.
En moyenne, les cas hospitalisés demeuraient 6 à 8 jours sur leur brancard spécial avant de pouvoir repartir chez eux. Allongés sur une simple bâche plastique, les malades étaient perfusés, tandis qu’une large ouverture au milieu du lit leur permettait d’évacuer les selles dans un grand seau sans avoir besoin de se lever. Pour vomir, il leur suffisait de se pencher sur un autre grand récipient à la tête du lit.
101. — Le médecin qui traite pour la première fois un cas épidémique, peut ne pas trouver sur le champ l'image parfaite de l'épidémie régnante, attendu qu'on n'arrive à bien connaître la totalité des symptômes objectifs et subjectifs de ces maladies collectives qu'après en avoir observé plusieurs cas.
Cependant, un praticien exercé et consciencieux pourra souvent dès le premier ou le second malade s'approcher tellement du véritable état de chose, qu'il en concevra sans retard la physionomie caractéristique, et que, très rapidement il aura le moyen de déterminer le remède homœopathique convenable et approprié pour combattre l'épidémie.
Une première inspection des patients me montra que les vomissements et les selles étaient aqueux et abondants. Ils n’avaient pas l’aspect « eau de riz » classique du choléra, mais on pouvait voir en suspension dans le liquide clair de nombreuses particules blanchâtres floconneuses aux contours mal définis, ce qui évoquait immédiatement à mon esprit des « boules de suif » pour établir une concordance avec la matière médicale. Sachant d’autre part que tous les patients avaient dès le début de l’affection une soif intense pour de l’eau la plus froide possible, un premier candidat pour désigner le remède épidémique me venait à l’esprit.
Ces premières constatations ne devant pas m’influencer, je passais à l’examen du premier cas. Ce patient venait d’être hospitalisé. La veille, il avait été saisi par des vomissements et des diarrhées. En même temps qu’il s’affaiblissait très vite, il avait présenté une soif très importante pour de l’eau froide. Ce qui était frappant chez lui, comme chez tous les autres cas, c’était la dégradation très rapide de l’état général, mais aussi l’absence de crampes ou de fortes douleurs. Le fait d’avoir ce genre de cas aussi peu algique me permettait d’exclure Cuprum et Veratrum.
Dans les cas aigus, c’est une bonne routine de s’enquérir si le patient a chaud ou froid. Dans le choléra, il n’y a jamais de fièvre, mais ce patient se plaignait spontanément d’éprouver des chaleurs. Comme toujours en homéopathie, nous devons affiner un symptôme pour le rendre utilisable, ce qui revient à la caractériser. Localisation, sensation, modalité, concomitant, irradiation sont notre leitmotiv. Or, ici le patient montrait clairement que sa chaleur était ressentie dans le dos.
CHALEUR : HEAT : aesc., agar., alum-m., alumn., apis., ars., asaf., aur., bar-c., berb., calc., calc-s., camph., carb-v., carl., cham., chin., coff., con., dig., dulc., gels., glon., hell., helon., hyos., laur., led., lob-s., lyc., med., meny., merc., nat-c., nat-m., ol-an., op., par., ph-ac., phos., pic-ac., plb., rhus-v., sars., sil., sol-n., spig., stann., staph., sulph., sumb., verat., zinc.
Cela me permettait de dégager très nettement Phosphorus, au vu de mes premières constatations. Mieux encore, en demandant au patient de bien préciser où dans le dos cette chaleur se localisait, il parvint à se tourner pour nous montrer la région dorsale entre les omoplates.
Dorsale, de la région : Dorsal region : merc., phos., pic-ac.
Omoplates : Scapulae : Chel., Mur-ac.
entre les : between : Arg-n., LYC., Naja., Phos., Pic-ac.
Le diagnostic de Phosphorus ne souffrait aucun doute, mais il était prudent de chercher désormais à valider le choix par la recherche de signes plus généraux, ce qui prend quelques instants de plus :
« A quel moment de la journée êtes-vous le pire ? » A cette question le patient répond spontanément « le soir, dès que la nuit tombe. »
crépuscule, agg : twilight, agg : am-m., ars., berb.3, calc., caust., dig., nat-m., Nat-s.3, phos., plat.3, plb., puls., rhus-t., staph., sul-ac., valer.
« Avez-vous besoin qu’on vous laisse tranquille ou préférez vous qu’il y ait quelqu’un près de vous ? » Décontenancé un instant par la question, le patient nous montre sa mère et nous dit « surtout le soir, je serai content qu’elle soit avec moi. »
Que demander de plus pour prescrire Phosphorus ? Nous avions préparé plusieurs médicaments sous forme de spray en solution hydro-alcoolique, suivant les conseils de Kaviraj qui possède une très grande expérience des « traitements de masse » en Inde. Il suffit de faire ouvrir la bouche et pschitt, une petite giclée de Phosphorus 200. Le médicament touche ainsi une grande surface muqueuse à la fois, ce qui accentue nettement son effet. La plupart des cas n’auront besoin que d’une seule prise pour se rétablir…
Phosphorus,
phosphorus, et encore phosphorus
Les cas deviennent rapidement monotones quand le génie
épidémique s’affirme avec autant de clarté. Mais le plus surprenant c’est
que chaque malade faisait son propre tableau de Phosphorus selon sa propre
constitution.
Les signes communs qui se retrouvaient chez tous les malades étaient :
Affaiblissement, vomissement, diarrhées, soif pour de l’eau très froide en grande quantités, aggravation le soir, désir de compagnie.
Mais à chaque cas on trouvait de nouvelles keynotes de Phosphorus, voici quelques exemples :
Cas 2 : chaleur dans le dos, comme de l’électricité qui monte jusqu’au vertex.
Cas 3 : douleur de l’abdomen qui irradie de partout dans le ventre (pain extending across abdomen)
Cas 4 : grande agitation, la jeune femme se dévêt devant tout le monde, les seins nus (ce qui est très rare dans un pays où les gens sont très pudiques)
Cas 5 : ictère très marqué des conjonctives, langue jaune, douleurs hépatiques
Cas 6 : vieille femme maigre, délire loquace
Conclusion
Phosphorus guérit la plupart des cas en 6 à 12 heures, certains demandant une répétition de la dose. Les résultats sont tellement surprenants qu’on voit la plupart des patients se redresser dans leur lit peu après la prise du remède. Seules les personnes âgées demandent plus de temps pour se remettre debout.
Dans l’heure qui suit l’administration du médicament, les douleurs et autres malaises sont soulagés, puis les vomissements s’estompent ainsi que les diarrhées. Les patients demandent à manger et leur état général s’améliore très rapidement. A la fin de notre séjour, on avait renoncé à poser des perfusions aux patients nouvellement admis et tous avaient droit d’office à leur spray de Phosphorus.
Finalement le plus surprenant a été la réaction des médecins haïtiens. Contrairement à leurs confrères occidentaux qui refusent de voir l’évidence et demandent des « preuves », ils ont rapidement compris l’intérêt de l’homéopathie et désirent ardemment l’apprendre.
A travers notre modeste expérience haïtienne (qui demande à être développé sur des bases plus rigoureuses), nous avons voulu montrer la supériorité de l’homéopathie dans les situations infectieuses même les plus graves, et qu’il est très simple de la mettre en œuvre rapidement et efficacement pourvu qu’on ait bien compris l’enseignement de Hahnemann.
[1] Lippe tient ce discours surprenant pour son époque : « The popular mind is prone to inquire about the existence of certain things or entities, rather than their quantitative relations; it asks, is there infection in this disease or in that ? It does not think to inquire whether there is more or less infecting power ; it does not suspect that this is the only difference in many diseases with regard to their power of propagating themselves.
The problem, in regard to the infectiousness of cholera, is of a similar nature, and is to be solved by a reference to precisely the same three conditions, viz., dilution, quantity, and susceptibility. ...
What in a more concentrated state was a poison becomes comparatively innoxious by dilution. If we admit the possibility of taking the cholera under these last circumstances; if we say that, even in a well-ventilated room, cholera may, to some persons, prove infectious, the statement is liable to be misunderstood and misapplied. One might then say that cholera is infections like the smallpox. This would be a gross exaggeration ...
The miasm of the smallpox is one that operates in a much more diluted state than that of cholera, and requires no peculiar susceptibility, except that naturally possessed by persons who have not been vaccinated.
The medical mind —perhaps from a deficiency of mathematical training— is extensively infected with this same intellectual vice. Physicians, instead of recognizing degrees of the infecting power, generally found their distinction on modes and media of transmission. ...
To inquire whether Asiatic cholera is infectious is like asking whether diluted alcohol is an intoxicating drink. Is diluted alcohol an intoxicating drink or not? Is it not obvious at sight that the requisite data for the solution of this question is not given in the question ?
It is indefinite in three respects:
- first, as to the degree of the dilution of the alcohol;
- secondly, as to the quantity to be taken;
- and thirdly, as to the susceptibility of the drinker to its intoxicating influence. One part of alcohol diluted with ten thousand parts of water, is not an intoxicating drink in any quantity which the stomach can retain ; one part of alcohol diluted with one hundred parts of water, is not an intoxicating drink, unless taken in enormous quantities, or by persons susceptible; one part of alcohol diluted with two parts of water, if taken in quantity, is an intoxicating drink, the result depending on the susceptibility of the person. »
Photos: Wikimedia Commons
US airforce: makeshift shelters in Port au Prince, Haiti
Roosewelt Pinheiro/Abr; Haitiens civilians receiving assistance after the earthquake
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Mots clés: Haïti, choléra, genus epidemicus, affaiblissement, vomissement, diarrhées, soif pour de l’eau très froide en grande quantités, aggravation le soir, désir de compagnie.
Remèdes: Phosphorus
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Reply #2 on : Sun June 19, 2011, 23:32:35
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Reply #1 on : Sun June 19, 2011, 08:36:59