2012 Octobre

J'ai peur qu'on m'attrape: un cas de Columba palumbus

de Claude Ghezi

Je suis en général très impressionné par les « bonnes sœurs ». Comment choisir de vivre cloitrées, recluses des autres, passer sa vie à prier, et aussi la voie de l’ascèse, cela m'est étranger et me fascine. Cette fois-ci, il y en avait trois alignées dans ma salle d'attente. Me souriant, à l'aise dans leur tenue moyenâgeuse. Sœur M. m'est présentée par la mère supérieure de son couvent. Ce sont des carmélites qui ont fait vœu de silence.

Elle me présente les choses comme ça : « Sœur M. ne se lève plus le matin, elle est tout le temps lasse et triste, elle ne mange presque plus, elle reste dans sa cellule, et ne fait plus ses tâches. Notre médecin a dit que vous pourriez peut être faire quelque chose, moi, je ne crois pas à l’homéopathie. » Pendant ce temps, sœur M. ne dit rien, mais elle semble gênée par de tels propos et baisse la tête. Nous continuons la consultation en tête à tête.

J’apprends que c'est un ordre ou l'on ne parle pas et où l’on doit faire le moins de bruit possible. Sœur M. finalement, est assez à l'aise et me parle facilement. Elle est douce et gentille, c'est elle qui me met à l'aise. Ses symptômes sont un épuisement, un dégout de la vie, elle n'arrive pas à aller au réfectoire avec les autres. Elle a des vertiges, des palpitations. Elle pense qu'elle est bonne à rien, que tout le monde fait mieux qu'elle et qu'elle n'est qu'une charge pour les autres nonnes. Elle pleure pour rien, par exemple, quand elle chante avec le professeur de chant ; au bout de quelques vocalises, elle se met à pleurer.

Elle à 50 ans, et elle est au Carmel depuis l’âge de 18 ans. Elle s'occupe de calligraphie, de réparations dans l'abbaye ; elle aime bricoler, et aussi s’occuper de la lingerie  avec deux autres nonnes mais cela, elle n'y arrive plus, elle n'a plus la force, mais ne dit rien a personne. Pourquoi ?

Sœur M. (SM) : « Parce que j'ai honte. Je devrais y arriver, toutes les autres travaillent dur (j’apprendrai que ce n'est pas vrai, qu'elle en fait deux fois plus que la plupart). On compte sur moi et je n'y arrive pas ; en général j'ai l'impression que je ne vais pas y arriver. »

« J'ai peur des autres, de me faire attraper. Alors, je fais un détour pour ne pas les  rencontrer, surtout mère Abbesse qui me dit que je fais trop de bruit quand je pousse le chariot de la vaisselle ; alors dans ce cas, je me mets à genoux et je ne dis rien (c'est dans le rite de l'abbaye). Elle ne voit pas ce que je fais pour la communauté, elle voit juste le bruit. »

« Être avec les autres me fatigue... »

Claude Ghezi (CG) : Comment ça?

SM : « En fait, j'ai peur qu'on m'attrape ! Que j'ai fait quelque chose qui ne va pas. Le matin je n'arrive pas à me lever. »

CG : À quelle heure ?

SM : « La prière est à 4 heures, je n'arrive pas à me lever, j'ai des palpitations et je me sens coupable de pas y aller, tout le monde y va, je suis nulle,  je ne suis pas capable...  (Bien sûr, ce n'est pas vrai, d'autres nonnes n'y participent pas). J'ai besoin de lire, beaucoup ; de rester dans ma cellule, ça me calme mais ça me culpabilise. C'est une émotion très forte que d’être avec les autres et ça me fatigue ; à midi, au réfectoire, je pleure dans mon assiette à gros sanglots  C'est carême et j'ai très faim mais je mange très lentement et je culpabilise, au printemps j'ai toujours très faim alors ça tombe mal,  le carême ! Je fantasme beaucoup. »

CG : Sur quoi ?

SM : « J'aime réfléchir, lire des essais j'ai lu dernièrement « nul ne souffre que par lui-même. » Ça m'a fait beaucoup réfléchir. La nuit, je n'arrive pas a dormir calmement, je me sens coupable et aussi je manque  d'humilité, je suis vulnérable. »

Dans d'autres rencontres plus tard, nous avons beaucoup discuté, elle fait référence au Mal. Je lui dis qu'elle confond peut-être humilité et humiliation. Je n'ai pas de réponse et je lui demande de me parler de son enfance.

Son père était d'abord banquier, puis il a eu une affaire avec un associé qu'il a brisé, tellement qu’il était dur avec lui. 

SM : « Avec moi, il était gentil mais il m’engueulait, il disait  ‘tu es veule, t'as pas de volonté, tu te donnes pas assez de mal.’ Je lui ai fait remarquer que ce qu'il disait, on peut pas le dire, que ce n'est pas gentil. Quand j'ai voulu rentrer au monastère, il a fait un procès pour détournement de mineurs, heureusement la majorité est passé à 18 ans. »

Quels sont les thèmes développés par cette patiente ?

La religion, bien sûr, la culpabilité – « Je ne vaux rien » – la peur d’être jugée, d’être attrapée, la servitude; « Je dois servir à quelque chose » – c'est le seul oiseau mentionné dans la bible.

Quel drôle d'oiseau, qui aime les gens mais qui a peur de se faire attraper ! Je me vois au square, essayant d'attraper les pigeons. Je poursuis le pigeon mais il m'évite, il fait un cercle autour de moi, il a peur que je l'attrape. Peut-être a-t-elle la même sensation et qu'elle ne se sent rassurée que dans sa cage ou quand elle est sûre d’être utile. Les enluminures qui sont des messages à l'humanité. Comme la colombe qui annonce la terre à Noé en lui montrant une branche d'olivier. Elle ne parle pas, ne chante pas, elle donne à voir.

Prescription : Columba palumbus XMK

Suivi 

Je revois sœur M. tous les six mois : elle est très émotive mais dort bien et n'est plus dans la dépression, ni dans cette culpabilité excessive qui la minait. Elle arrive à dire que son père n'était pas gentil et nous convenons que ce n'est pas de sa faute. Elle a toujours du mal avec les groupes mais accepte de chanter à la chorale. Il faut qu'elle dise à la mère abbesse qu'elle mange lentement et c'est pour ça qu'elle ne mange pas beaucoup. Elle ne travaille plus à la lingerie. Elle fait des enluminures et elle a participé à un concours d'étiquettes de fromage pour les fromages du monastère, elle bricole beaucoup et aime être avec les novices qui sont plus drôles. Les palpitations sont les symptômes qui ont persisté le plus avec des périodes d'insomnies. J'ai essayé de lui donner alors Cactus sans grand résultat et je suis toujours revenu à Colomba palumbus qu'elle prend en général en XMK 1 fois tous les trois mois. Je pense que s'il faut répéter ce remède chez elle, c'est un peu à cause du milieu ou elle à choisi de vivre : c'est un endroit qui ravive beaucoup ses blessures d'humiliation, de culpabilité ; le remède lui permet de surmonter, d’être joyeuse et de vivre sa foi.

Photo: Wikimedia Commons
Icon baptism of Jesus; Ranosonar

 

Catégories: Cas
Mots clés: dépression, culpabilité, épuisement, pleure facilement, palpitations
Remèdes: Columba palumbus

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veule…volage…volare
Reply #1 on : Tue October 09, 2012, 16:30:57
Ces deux histoires, de la chouette et la colombe, racontées avec un sourire, témoignent d’une empathie: chacun, la personne et l’oiseau, se révèle dans son habitat avec quelques petites réflexions philosophiques. C’est ainsi que le cas peut rassembler tous les ingrédients de l’homéopathie.