2012 Avril

Sous les parures de la princesse; un cas de Lycopodium

de Paul Labrèche

Un nouveau praticien dans la mer vaste de l’homéopathie doit apprendre d’abord à naviguer dans toutes sortes d’eaux; parfois calmes, parfois troubles et ce n’est pas toujours chose aisée lorsque les vents se disputent les voiles.

D’abord, il y a toutes ces façons de pratiquer cet art qui peuvent différer beaucoup. D’un grand homéopathe à l’autre, d’une école à l’autre, d’une approche à l’autre, des façons de faire parfois radicalement opposées et aussi radicalement justifiées s’entremêlent les cordages pour arriver souvent à bon port. Il y a ces homéopathes qui donnent une seule dose d’un remède puis attendent, attendent, attendent. Il y a ces homéopathes qui donnent une dose d’un remède puis répètent, répètent, répètent. 

Dans les années 90, un médecin m’avait prescrit deux polychrestes, en alternance, toutes les 2 semaines, que j’ai pris pendant presque quatre ans! Et ce n’est qu’à partir de la 3ème année que la lésion d’eczéma pour laquelle j’avais consultée, a commencé à se résorber.

On ne sait donc pas trop, parfois, où mettre le cap. Les uns diront de revenir à Hahnemann et de s’y tenir strictement; les autres diront que la pratique continue d’évoluer et se laisse modeler par les recherches des Sankaran, Scholten, Smits et compagnie, et qu’il ne faut pas avoir peur de plonger dans la profondeur infinie des mémoires de l’eau.

D’ailleurs, si Hahnemann avait vécu 200 ans, combien de fois aurait-il publié son Organon?  Jusqu’où aurait évolué sa propre pratique qu’il n’a cessé de parfaire et de remettre en question tout au long de sa vie?

Voilà quelques réflexions d’un navigateur qui a encore bien à sonder de cette mer immense qu’il commence à apprivoiser, partageant ici une de ses « expéditions » avec ceux et celles qui commencent peut-être cette pratique et qui sentent encore le besoin de consolider des remèdes qui sont bien connus des praticiens confirmés.

Cas clinique
Une fillette de 4½ ans, accompagnée de sa maman, vient me consulter pour un problème d’asthme. Chaque rhume se termine en épisode d’asthme qui fait son chemin, invariablement, jusqu’aux urgences. Sa pneumologue, qui en est une d’expérience, dit que c’est le cas le plus difficile qu’elle ait rencontré dans sa carrière.

Ce qui frappe d’abord, en apercevant cette enfant, c’est sa grande beauté, son sourire radieux et timide à la fois, puis sa chevelure généreuse. Elle est très mignonne et pas un brin affectée même si elle aime beaucoup jouer à la princesse. Depuis toujours, d’ailleurs, la petite se fait dire par tout un chacun, combien elle est belle. Régulièrement, par contre, elle demande à son père si il la trouve belle. Y a-t-il un besoin d’admiration sous-jacent, une insécurité quelconque? L’enfant cherche toujours à être belle et on ne peut lui imposer comment s’habiller. À cet égard, elle peut être très têtue.

C’est une enfant très mince. La musculature n’est pas développée. Elle a cependant beaucoup d’énergie et est très physique aimant danser et faire de la gymnastique. Durant la première consultation, elle passera pas mal de temps à exécuter des mouvements pendant que je discute avec la mère. Elle semble s’amuser un peu toute seule sans essayer d’obtenir quelconque attention de ma part. Stratagème?

Sa mère dit qu’elle a beaucoup de concentration. Des signes de précocité et d’intelligence sont présents également : à trois ans, elle faisait des puzzles de 100 morceaux. Elle aime apprendre et apprécie les exercices intellectuels. Paradoxalement, elle présente un retard de langage assez important. Elle marmonne et peine à faire des phrases complètes.

Malgré cette gentillesse apparente, ce côté très lumineux qui évoquera rapidement un Phosphorus au départ, d’autres traits de caractère viendront couler cette première intuition. Ainsi, à la garderie, elle frappe parfois les autres enfants qui veulent son jouet. Elle n’obéit pas aux éducatrices qui lui demandent d’arrêter de frapper. À la maison, elle est également dure avec son petit frère et se dispute déraisonnablement avec lui.

Devant les choses nouvelles, la petite dit souvent « qu’elle n’est pas capable. »  Elle observe beaucoup avant de s’engager.

Le soir, elle a de la difficulté à s’endormir. Elle se lève souvent, pleurniche, se plaint qu’elle a mal au ventre, qu’elle veut regarder la télé, etc. Il est fréquent, également, qu’elle doive se lever la nuit pour manger. Au lever, elle est de bonne humeur.

Elle n’a pas beaucoup d’appétit, aime grignoter, adore le sucre et boit beaucoup de jus. Elle est capricieuse à l’heure des repas.

Quelques autres signes retenus :

- Transpiration fétide des pieds

- Mauvaise haleine selon la mère

- Rhinite chronique

- Eczéma aux plis des coudes; peau très sèche

- Constipation marquée

- Grande sensibilité au cuir chevelu lorsque sa mère la brosse

Analyse
Ce qui me frappe a posteriori et que je n’ai pas vu tout de suite, étant un peu aveuglé par cette « princesse » débarquée dans mon bureau, c’est son côté dur, bully, n’hésitant pas à frapper et bousculer. Par contre, j’ai vu rapidement son penchant obstiné, ainsi que son hésitation à s’engager dans les choses nouvelles. Ces deux éléments clés et son grand désir de sucre m’ont amené à considérer et explorer Lycopodium. 

Dans la matière médicale pédiatrique de Jacques Lamothe, on y trouve plusieurs signes intéressants qui correspondent à ce remède. Les plus marquants :

- Pleurnicheur

- Besoin d’admiration

- Dur avec les petits

- Enfant précoce, actif, réalisateur

- Retard de langage

- Problèmes de croissance; maigreur; manque de muscles

Une ressemblance entre ce tableau et le profil de l’enfant peut donc être confirmée. Toutefois, je nourris quelques hésitations puisqu’elle ne correspond pas à un profil très typé selon ma perception. Par exemple, elle est très physique et plutôt de bonne humeur – entre autres, le matin - ce qui n’appartient assurément pas au portrait de notre Lyco bougon et pas physique pour deux sous!

Prescription
C’est donc avec une certaine réserve que je prescris Lycopodium en 15CH, voulant jouer de prudence. Dose liquide, toutes les deux semaines, à espacer dès amélioration.

Résumé des suivis en mai et juillet 2011
Pas une seule crise d’asthme durant les quatre premiers mois de traitement, malgré une toux lors de deux épisodes de fièvre, dont un, très élevé. Donc, la réactivité de l’enfant a commencé à s’accroitre, elle qui n’avait jamais fait de fièvre auparavant.

Des améliorations impressionnantes, au point de vue des comportements sont observées. À la garderie, elle obéit maintenant aux consignes, sait attendre et ne se chamaille plus. Sa concentration est très bonne. À la maison, elle s’entend mieux avec son frère et lui fait davantage de câlins. Également, autres points majeurs, la petite est beaucoup moins « princesse » et a moins tendance à pleurnicher.

D’autres améliorations : rhinite chronique disparue, appétit meilleur et moins capricieux, moins de difficulté d’endormissement, constipation améliorée, haleine meilleure (la langue n’est plus chargée), transpiration fétide des pieds absente. Pour ce qui est de l’eczéma, ça va et ça vient. Par contre, la peau est beaucoup moins sèche.

Fait particulier à noter également, la petite est moins sensible quand sa mère la coiffe.

Au moment du suivi du mois de juillet, la mère a l’impression que certains symptômes reviennent : la petite n’aime pas attendre, elle ne veut pas ramasser ses jouets, elle est davantage capricieuse aux repas. La dernière prise du remède date de plus d’un mois.

Prescription : comme les améliorations se poursuivent avec la dilution actuelle, je recommande de continuer à donner Lycopodium, 15CH, au besoin.

Suivi novembre 2011
La mère a fait une visite de routine chez la pneumologue il y a deux semaines. Les tests confirment que la résistance pulmonaire de l’enfant a augmenté. Il ne sera plus nécessaire de la voir tous les six mois. Le médecin est très étonné que ce cas soit à ce point amélioré et ne semble pas trop comprendre comment ça peut être possible.

Depuis un mois, une toux a tendance à s’installer. L’administration plus fréquente du remède n’apporte pas de changements. 

Certaines améliorations se sont poursuivies, entre autres, le langage qui s’est très clairement amélioré.

Quelques symptômes physiques sont revenus dernièrement, dont l’odeur des pieds, et au niveau comportemental, la petite veut davantage être leader ou être la « première ». Elle bouscule un peu dans les rangs.

En cours de consultation, la petite mentionne sa peur des squelettes.

Réflexion et prescription
La dilution actuelle de Lycopodium semble avoir épuisé son action. On peut monter à 30CH.

Certaines homéopathes privilégient l’attente de signes clairs de barrage miasmatique avant de prescrire un nosode. D’autres prescrivent dès que le miasme est clairement exprimé. Pour le moment, je préfère la seconde approche. Je lui prescris donc une dose de Psorinum 30CH (maigreur, odeur des pieds, eczéma, peur des squelettes, asthme), deux semaines après la prise de Lycopodium 30CH.

Suivi informel janvier 2012
Période de bouleversements importants durant le dernier mois. Le père est parti suivre un entrainement militaire et la mère est retournée vivre chez ses parents, dans une autre ville, avec les enfants, pour la période. La petite dit qu’elle voudrait que papa, maman, son petit frère et elle soient tous ensemble dans leur maison. Elle fait des cauchemars à l’occasion et a un peu de constipation.

Par contre, il n’y a plus cette tendance à la toux chronique.

Prescription : Lycopodium 30CH, à répéter au besoin.

Réflexion
Les 4 à 6 semaines qui ont précédé ce suivi informel, et durant lesquelles elle a eu une dose de Lycopodium 30CH et Psorinum 30CH, ont été caractérisées par des bouleversements importants. Tous les ingrédients étaient réunis pour donner lieu à une décompensation majeure pouvant se focaliser sur l’appareil respiratoire. Or, il n’en fut rien; la petite a partagé son malaise verbalement, et une partie du déséquilibre a trouvé l’émonctoire des rêves pour s’exprimer.

Conclusion
Force est de constater l’action de ce remède dans ce cas, qui, au départ, m’apparaissait à mille lieux du portrait d’enfant difficile, bougon et malheureux que l’on trace souvent à grands traits complaisants. Quand on se rappelle qu’intérieurement, ce remède se perçoit comme « pas à la hauteur », il est logique qu’il puisse convenir à un bon nombre d’enfants en conflit avec leur statut de « petit », cherchant des moyens de masquer cette vulnérabilité. En mode égotrophique, donc, n’est-il pas tout à fait cohérent que Lycopodium veuille grimper sur les talons de la princesse ?

Photos
Nice people, nice things; Helen Stubbings
Wikimedia Commons; The stag's horn clubmoss, Lycopodium clavatum; Christian Fisher

 

Catégories:
Mots clés: asthme, timidité,princesse, insécurité, précocité, problèmes de language
Remèdes: Lycopodium

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Vanessa
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Reply #2 on : Fri May 15, 2015, 20:09:00
C'est triste qu'une aussi petite fille, si jeune, soit déjà atteinte d'une telle maladie. Cet article est très enrichissant en tout cas. J'y apprends beaucoup de choses.
Last Edit: May 31, 2015, 16:32:04 by *  

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sous les parures de la princesse
Reply #1 on : Wed April 04, 2012, 20:40:40
Cet article est remarquable, témoigne d'un grand sens de l'observation, d'une grande profondeur, d'une connaissance à la fois analytique et synthétique de la matière médicale, le tout accompagné d'une intuition que l'homéopathe a la sagesse de suivre.