Une réserve inépuisable d'énergie: un cas de Cantharis
Une patiente de 65 ans me consulta un jour pour une fatigue chronique. Elle avait l’impression qu’elle était loin d’avoir ses capacités d’autrefois ; elle avait besoin d’un petit somme chaque après-midi. Elle était retraitée après avoir occupé un poste important dans les télécommunications, avec beaucoup d’employés sous ses ordres. « Il fallait que je les aie tous à l’œil et j’appréciais d’être surchargée, de devoir être partout à la fois. » Il semblait qu’elle jouissait toujours d’une réserve inépuisable d’énergie, lui permettant de s’affairer à sa tâche toute la journée et, de retour chez elle le soir, de s’adonner aux travaux domestiques. « Même que je pouvais me mettre à repeindre la clôture dehors la nuit, les phares allumés. J’avais l’impression d’être douée d’une énergie fabuleuse, j’étais tout le temps sur la brèche. La nuit, impossible de dormir ; dans la tête, je bouillonnais d’excitation ; j’ai été obligée de prendre des comprimés pour dormir. J’ai essayé la méditation, mais je n’ai pas pu m’y tenir suffisamment longtemps. J’ai besoin d’être sur la brèche. »
Bien que sa plainte principale soit la fatigue, elle ne donne pas l’impression d’être fatiguée. C’est une femme petite, bien habillée et bien coiffée, pleine d’entrain, à la parole pétulante, avec des gestes rapides, en mouvement permanent sur son siège. Elle a des yeux brillants, elle parle vite et de façon passionnée.
Quand je lui demande de parler d’elle, elle me parle surtout de son mari. « Il ne fait que me crier dessus, il me dit que je confectionne trop d’habits et que ma garde-robe est en train d’exploser. Il a horreur que je rentre à la maison avec de nouveaux tissus pour me faire une robe, mais moi j’aime tout simplement les nouveaux habits. Je les porte une fois et après je les donne. Quelle barbe, mon mari, il passe l’aspirateur derrière moi dans la cuisine dès que je fais quelque chose, il va jusqu’à enlever des miettes qu’on ne voit même pas. » (Celui-ci a reçu par la suite Germanium pour des douleurs articulaires et de la dépression.)
« J’ai été une enfant dingue, je faisais ce que je voulais ; je couchais avec n’importe qui. Ma mère ne m’a mis aucune limite? Ayant été étouffée par une éducation trop stricte, elle m’a laissé faire tout ce que je voulais, ce qui implique qu’elle ne m’a ni protégée, ni posé de barrières de sécurité. J’étais provocante quand j’étais jeune fille, aussi le voisin m’a violée à 12 ans, mais je n’ai pas réalisé alors que c’était un viol. Au contraire, j’ai aimé ça. Il en a parlé avec un de ses amis qui m’a également abusé sexuellement. Un beau jour, cela s’est su et ils ont été arrêtés. Ma photo a été affichée dans tous les journaux, ce qui a fait qu’on m’a considérée comme une « fille facile », une proie rêvée et ça a continué ainsi, bien que les autres aient été jetés en prison. J’ai vraiment de gros besoins sexuels, ce que j’ai trouvé génial, mais c’est en fait excessif. J’ai eu des rapports avec des hommes mariés, il y en a même un qui a passé avec moi la nuit juste avant son mariage.
« Ces temps-ci, c’est plutôt minable au point de vue sexuel. Quand mon mari veut me « punir », il me refuse le sexe, quelquefois pendant des mois entiers car il sait que c’est mon point faible. Je pense souvent à le quitter et à chercher un autre homme. Et je n’ai même pas à chercher, ils sentent quelque chose et viennent à moi. Faut quand même que je me retienne, sinon… Les femmes ne m’aiment pas : elles ont peur que je leur chipe leur mari. Elles cancanent sur moi et me tiennent à distance de leurs cercles ; elles ne cherchent qu’à être les meilleures, à se réserver les meilleurs concerts pour frimer, et elles me tiennent à l’écart de tout ça. »
Autre
chose ?
« Toutes les articulations me font mal, les
médecins disent que c’est de la fibromyalgie. Ça va mieux quand je remue, mais
je m’ankylose vite. J’ai été sous antibiotiques pendant des
années, à l’époque pour une infection vésicale chronique. Je hurlais de douleur
quand je pissais. Maintenant, ça empeste, mais ça ne fait plus mal tant que je
prends des antibiotiques. »
Autre chose
encore ?
« J’ai une dermatite sur les mains quand je
ne suis pas bien : ma peau fait des cloques et se détache en gros
lambeaux.
« J’ai rêvé plusieurs fois que j’étais une fleur qui poussait sur une ligne de chemin de fer, un train arrivait et j’allais être écrasée. J’ai raconté ça à un médecin quand j’étais petite ; ça l’a inquiété, il a dit à ma mère qu’il fallait qu’elle fasse bien attention à moi, mais ça n’y a rien fait. J’ai toujours l’impression de risquer d’être écrasée et tuée n’importe quand ; quelquefois ça me réveille la nuit.
« Je mange tout le temps, en fait je grignote. Peu importe ce que je mange, ce peut être n’importe quoi et si je ne mange pas, j’ai une baisse de sucre dans le sang et je me sens mal. Je vais manger un petit quelque chose que j’ai sous la main mais pas quelque chose compliqué à préparer. Si je suis mince, c’est uniquement parce que je bouge beaucoup tout le temps, n’importe qui d’autre qui mangerait autant que moi serait gros. »
Il est clair qu’elle a besoin d’un remède animal : compétition, sexualité intense, peur d’être attaquée, comportement vif. Et évidemment d’un insecte : impétuosité (contrairement aux serpents qui sont plus fourbes), travail (inefficace), bonne organisation, travail en équipe, peur d’être écrasée. Beaucoup de patients relevant de remèdes coléoptères ont des problèmes musculaires, et en particulier de la fibromyalgie, ce qui renvoie à la carapace dure de ces insectes.
Prescription: Cantharis
Les infections vésicales, la dermatite et la sexualité qui la rendait presque folle indiquaient Cantharis, qui lui a été donné en dilutions croissantes pendant deux ans. La première chose qu’elle a remarquée a été qu’elle a pu mieux dormir, réduire ses somnifères et même les arrêter complètement. Son énergie a augmenté, mais pas avec frénésie comme dans le passé. « J’en fais encore beaucoup mais sans la sensation d’être poussée à travailler tout le temps. » Elle a présenté une forte et brève poussée de dermatite des mains qui ont desquamé en totalité, et qu’elle a traité par un onguent phytothérapique ; sa peau est redevenue douce depuis. Son urine a commencé à sentir moins fort, mais il a fallu beaucoup de persuasion pour la convaincre de diminuer les antibiotiques, à cause de la peur des douleurs en urinant qu’elle avait eues autrefois. Comme son urine se normalisait, elle a pu réduire puis stopper les antibiotiques, sans effets néfastes ni reprise de ses anciennes cystites.
Le plus incroyable, toutefois, a été le changement dans ses relations conjugales. « Il est devenu tellement plus gentil, il ne passe plus son temps à me crier dessus. Nous nous entendons beaucoup mieux et je ne pense plus à le quitter pour un autre, même si j’attire encore d’autres hommes. J’adore flirter, mais cela a moins d’importance que par le passé et c’est juste pour rigoler.
« Je mange mieux et moins, maintenant : je mange juste aux repas, sans grignoter tout le temps. Mais, chose curieuse, je ne perds pas de poids en mangeant moins : peut-être que je ne brûle pas la nourriture de la même façon.
« Mes muscles ne sont plus raides. Le matin, je devais me dérouiller et il fallait que je m’étire constamment. Mon cou se déboite encore quelquefois, mais je n’ai plus besoin de calmants (elle ne m'avait pas dit qu'elle en prenait). »
Elle est revenue presque un an après pour me parler, cette fois, de tristesse et non pas de fatigue ou de douleurs. « J’ai pleuré et pleuré, toute ma jeunesse est ressortie dans mes rêves et mes pensées. Je réalise maintenant et de plus en plus combien je me suis sentie seule quand j’étais enfant et combien j’ai manqué d’attention et de protection maternelles. Je me suis jetée sur les hommes juste pour obtenir de l’attention, le sexe était un simple moyen d’avoir des contacts. Aujourd’hui que je suis plus âgée, je me rends compte que je n’ai pas de vrais amis et que je suis tout bonnement utilisée par les hommes. Je n 'arrête pas de verser des larmes sur la pauvre petite fille qui n’a jamais été vraiment aimée. »
Il est intéressant de lire dans Prisma de Frans VERMEULEN : « polyphagie, mange beaucoup, comme les insectes boulimiques qui mangent des aliments très différents. »
Il parle aussi de la folie et de la rage : « Comme Lyssa, la folle et enragée progéniture d’Uranus et de Nyx, qui fit perdre la raison à Héraclès. » SAINE dit : « Cantharis est encore plus fou que le remède du diable. »
On connaît le bouillonnement industrieux des insectes, toutefois la fatigue peut aussi faire partie du tableau, surtout quand il y a eu surmenage par un affairement permanent : « Grande faiblesse. Constamment fatigué, épuisement considérable des forces. »
Le texte de VERMEULEN sur Cantharis était presque le même que mon observation de la patiente.
Photo: Wikimedia Commons
Cantharis
fusca; Richard Bartz
Catégories: Cas
Mots clés: compétition, sexualité intense, peur d’être attaquée, impétuosité, travaille en équipe, peur d'être écrasée
Remèdes: Cantharis
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